Une extrême droite décomplexée qui gagne du terrain
En 2024, l’Europe est confrontée à une montée sans précédent de l’extrême droite. Sur fond de crises migratoires, de défiance politique et de normalisation idéologique, des partis naguère marginaux accèdent désormais aux plus hautes sphères du pouvoir. Le documentaire « White Power : au cœur de l’extrême droite européenne », diffusé par ARTE, plonge au cœur de ce phénomène glaçant. Il met en lumière une métamorphose : celle d’une extrême droite passée du folklore radical à une stratégie politique assumée et institutionnelle.
Du retour des discours raciaux en Allemagne à la réhabilitation du nationalisme révolutionnaire en France, en passant par la rhétorique ethniciste du Vlaams Belang en Belgique, le constat est alarmant : une idéologie jadis contenue s’étend et se structure à l’échelle européenne. Cet article propose une analyse détaillée du documentaire, afin de comprendre les ressorts d’un système de plus en plus banalisé.
Les nouvelles stratégies de l’extrême droite européenne
De la marginalité à l’institutionnalisation. L’extrême droite n’est plus cantonnée aux groupes radicaux ou aux figures folkloriques. Elle pénètre les parlements, les gouvernements, et parfois même les ministères. En Allemagne, l’AfD se hisse au second rang dans les sondages. Dans l’hexagone, le Rassemblement National se prépare pour 2027. En Italie, Giorgia Meloni gouverne.
Ces partis cultivent une image policée, mais leurs discours révèlent des objectifs inchangés : le rejet du multiculturalisme, l’obsession identitaire, et l’évocation d’un « grand remplacement ».
La remigration : un projet politique assumé. Au-delà des mots, c’est une véritable politique de « remigration » qui se dessine. Ce terme, euphémisme de déportation, vise le retour forcé des populations extra-européennes, y compris de citoyens nés en Europe. Le cas allemand, avec les discours du courant Der Flügel au sein de l’AfD, est emblématique. Le mouvement préconise une « forteresse Europe » et une politique migratoire sélective, raciale, dénuée de toute humanité.
Le White Power : un lien transatlantique et historique
Une idéologie venue des États-Unis. Le documentaire montre comment les thèmes du White Power ont traversé l’Atlantique. Le néonazi américain George Lincoln Rockwell inspire encore les suprémacistes blancs européens. Le « White Power » est conçu comme une réponse à « Black Power« , avec une vision raciale de la société et une glorification de la blanchité.
Les auteurs comme Renaud Camus (« Le Grand Remplacement ») ou Jean Raspail (« Le Camp des Saints ») sont largement diffusés dans les milieux d’extrême droite européens. Ils nourrissent une rhétorique de la peur où l’autre est perçu comme une menace existentielle.
L’accélérationnisme : vers une violence assumée. L’accélérationnisme est une mouvance extrême où la violence est présentée comme inévitable. Elle encourage des actes terroristes pour provoquer l’effondrement de la société actuelle et rebâtir un ordre racial pur. Les attentats de Christchurch ou d’Oslo sont des illustrations terrifiantes de cette idéologie, nourrie par le suprémacisme blanc.
Groupes violents et porosité avec les partis politiques
L’exemple français : entre vitrine politique et milices radicales. En France, le GUD (Groupe Union Défense), les Zouaves Paris ou encore la Cocarde étudiante illustrent la continuité entre activisme violent et engagement politique. Certains anciens militants radicaux ont intégré le Rassemblement National. Le documentaire souligne ces liens, souvent négligés, mais pourtant très réels.
L’affaire du meeting de Zemmour en 2021, attaqué par des militants violents, montre à quel point ces passerelles existent. Certaines figures de l’ultra-droite sont même embauchées dans des cabinets d’élus ou en tant qu’assistants parlementaires.
La Belgique et le double visage de l’extrême droite. La Belgique offre un contraste saisissant : en Wallonie, le cordon sanitaire empêche toute visibilité médiatique des extrêmes droites. En Flandre, au contraire, le Vlaams Belang prospère, soutenu par des figures de la « Nouvelle Droite » européenne.
L’évocation permanente du « grand remplacement » y légitime les politiques de rejet, alimentant les peurs et les votes.
Une stratégie de normalisation efficace
Dé-diabolisation ou banalisation ? Marine Le Pen n’est plus perçue comme une menace. Les médias ont joué un rôle clé en dépeignant Éric Zemmour comme plus radical, rendant Le Pen plus « acceptable ». C’est une illusion de contraste qui masque une continuité idéologique.
La réalité est que les idées de l’extrême droite se diffusent aujourd’hui dans les discours politiques et médiatiques sans rencontrer de véritable résistance.
La porosité avec les institutions. Le documentaire met en évidence la tolérance de certaines institutions face à ces mouvances. En France, des groupuscules comme Lyon Populaire ou Gignol Squad peuvent agir sans être systématiquement inquiétés. Leur activisme violent s’accompagne de discours décomplexés, souvent relayés sur les réseaux sociaux, et parfois même dans des enceintes parlementaires.
Lutter contre la progression des extrêmes
Une mobilisation encore possible. Face à cette offensive idéologique, des résistances existent. Des mouvements comme la Jeune Garde à Lyon ou les manifestations massives contre les projets de remigration montrent que la société civile n’est pas totalement passive. Des voix s’élèvent pour alerter sur les dangers de cette banalisation du racisme, de l’antismitisme et de la xénophobie.
L’urgence d’un sursaut politique. Il ne suffit plus de dénoncer. Il faut agir. Dissoudre les groupuscules violents, contrer les discours haineux, et rétablir un espace public fondé sur l’égalité et la démocratie. L’État doit être à la hauteur du défi. La tolérance passive devient complicite.
En 2024, l’Europe se tient à un carrefour. Soit elle cède à la tentation identitaire, au repli, à la haine. Soit elle retrouve les fondements humanistes qui ont inspiré sa reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. Le danger n’est plus en marge : il est au cœur des institutions, dans les discours, dans les urnes.
Ce documentaire d’ARTE rappelle avec force que le combat contre le White Power et ses avatars européens est un combat pour la liberté, pour l’égalité, pour la dignité humaine. Il interpelle. Il dérange. Et c’est justement pour cela qu’il faut le voir, le partager, en discuter.