Halloween fascine chaque année par son mélange unique de mystère, de peur et de fête populaire. Derrière les costumes et les citrouilles, cette célébration plonge pourtant ses racines dans une tradition bien plus ancienne : Samhain, la grande fête celtique marquant la fin de l’été et le début de l’hiver.
Née en Irlande il y a plus de deux mille ans, cette nuit symbolisait le moment où le monde des vivants et celui des esprits s’effleurent. De rituels du feu en croyances druidiques, de légendes païennes en migration vers le Nouveau Monde, ce documentaire d’Arte sur Halloween retrace un voyage fascinant entre spiritualité, folklore et métamorphose culturelle.

Samhain : la fête celtique à l’origine d’Halloween

Un calendrier agricole et spirituel : Bien avant l’apparition des costumes et des friandises, Samhain marquait chez les Celtes la fin d’un cycle vital : la clôture de l’année agricole et l’entrée dans la saison sombre. Située entre l’équinoxe d’automne et le solstice d’hiver, cette fête était un moment charnière, un “entre-deux” où le temps semblait suspendu. Les druides considéraient Samhain comme une nouvelle année spirituelle, propice aux augures et à la communication avec l’au-delà. Dans les croyances anciennes, les frontières entre le monde des vivants et celui des morts s’ouvraient, permettant aux âmes errantes et aux êtres féériques de traverser le voile de la nuit.

Rituels du feu et rassemblements tribaux : Au cœur de Samhain brûlait le feu. Sur les collines irlandaises, les druides allumaient de grands feux sacrés censés protéger les villages contre l’obscurité et les forces malveillantes. Chacun y apportait une flamme pour rallumer son foyer, symbole de renaissance et de cohésion. Ce rituel communautaire, ancré dans la nuit des temps, traduisait une vision circulaire de la vie : mourir pour renaître, éteindre la flamme de l’année passée pour raviver celle de la suivante. Le feu, lumière dans la nuit, était à la fois bouclier spirituel et message d’espérance face à la rigueur de l’hiver.

Les druides et le rôle du sacré : Les druides, gardiens du savoir et du lien entre les mondes, jouaient un rôle central durant Samhain. Leur mission ne se limitait pas aux offrandes ou aux cérémonies : ils interprétaient les signes du ciel, observaient la nature, consultaient les esprits pour prévoir l’avenir et orienter la communauté. Dans cette société où le visible et l’invisible coexistaient, la connaissance spirituelle était une force vitale. Samhain incarnait alors l’équilibre fragile entre l’homme, la nature et le sacré — un héritage dont Halloween conserve encore aujourd’hui les échos, derrière ses masques et ses lumières.

Le monde invisible : croyances et mythologie celtes

L’autre monde et ses portails : Pour les anciens Celtes, Samhain ne marquait pas seulement un changement de saison : c’était le moment où les frontières entre les mondes s’effaçaient. L’« autre monde », appelé Tír na nÓg ou royaume des esprits, coexistait avec le nôtre. On y accédait par des passages sacrés — grottes, collines, cercles de pierre ou lacs — considérés comme des portes vers l’invisible. En Irlande, des sites comme Rathcroghan et la grotte d’Oweynagat, surnommée « la grotte des chats », étaient réputés s’ouvrir à Samhain pour laisser passer les créatures de l’au-delà.
Ces lieux n’étaient pas synonymes de peur, mais d’équilibre : ils rappelaient aux vivants leur lien éternel avec le monde spirituel.

Les créatures de Samhain : Samhain voyait surgir des figures redoutées : la Morrigan, déesse de la guerre et du destin, planait sur les champs de bataille, souvent sous la forme d’un corbeau. À ses côtés, des êtres féériques — ni bons ni mauvais — erraient entre les collines et les forêts, parfois bienveillants, parfois trompeurs. Cette coexistence entre les humains et le surnaturel nourrissait un imaginaire collectif puissant, où chaque bruit du vent ou ombre dans la brume pouvait cacher un signe des dieux. Ces récits, transmis de génération en génération, sont devenus la trame des légendes qui imprègnent encore Halloween : fantômes, sorcières, loups-garous et esprits des morts.

Rites alimentaires et magie domestique : La nuit de Samhain, on dressait des tables pour les vivants… et pour les esprits. Les familles laissaient une part de repas — souvent du colcannon, une purée de pommes de terre et de chou — pour apaiser les êtres féériques de passage. Les pommes occupaient une place centrale : elles servaient aux jeux divinatoires censés révéler l’avenir amoureux ou la chance à venir. Les gâteaux d’Halloween, enrichis de fruits secs et d’objets cachés, annonçaient le destin de celui qui les trouvait. Chaque geste, chaque aliment avait une fonction symbolique : nourrir le lien entre les mondes et assurer la prospérité de l’année nouvelle.

De l’Irlande à l’Amérique : la métamorphose d’Halloween

L’exil irlandais et la transmission des coutumes : Au XIXᵉ siècle, une terrible famine ravage l’Irlande. Des milliers de familles fuient vers les États-Unis, emportant dans leurs bagages leurs récits, leurs rites et leurs souvenirs de Samhain. Dans les villages d’immigrés, ces traditions se mêlent à la culture américaine : on allume des feux, on joue à se faire peur, on se déguise pour échapper aux mauvais esprits. Peu à peu, la fête se transforme en un moment de convivialité et de dérision, tout en conservant son essence : communiquer avec l’invisible et célébrer la transition des saisons.

Jack-o’-lanterne et la symbolique du feu-follet : Le symbole le plus célèbre d’Halloween vient d’une vieille légende irlandaise : celle de Jack le cordonnier, un homme rusé qui piégea le Diable avant d’être condamné à errer éternellement entre le paradis et l’enfer. Pour s’éclairer, il portait une lanterne faite d’un navet creusé contenant un charbon ardent. Les villageois, pour éloigner son esprit, sculptaient à leur tour des visages dans des navets avant d’y glisser une bougie. Arrivés en Amérique, les migrants remplacèrent le navet par la citrouille, plus abondante et facile à travailler. Ainsi naquit la Jack-o’-lantern, devenue l’emblème lumineux de la fête et héritière du feu sacré de Samhain.

L’invention d’une fête populaire américaine : Aux États-Unis, Halloween s’impose au tournant du XXᵉ siècle comme une fête communautaire. Les enfants défilent déguisés, les maisons se parent de citrouilles, et la “chasse aux bonbons” reprend, sous une forme ludique, l’ancien rituel des offrandes. L’imaginaire des fantômes, des sorcières et des morts-vivants s’enrichit alors des contes européens et de la culture populaire américaine. Cinéma, littérature et télévision transforment Halloween en un spectacle collectif où se mêlent peur et amusement. Mais derrière les déguisements, l’ombre de Samhain demeure : celle d’une nuit où l’on franchit les frontières entre les mondes.

Les traces archéologiques et historiques de Samhain

Le calendrier de Coligny : la preuve gauloise. En France, une découverte majeure éclaire les racines communes de Samhain : le calendrier de Coligny, retrouvé dans l’Ain. Daté du Ier siècle de notre ère, ce calendrier en bronze, gravé en langue gauloise, mentionne un mois appelé “Samonios”, étroitement lié à Samhain. L’inscription “Trinox Samonii” — les “trois nuits de Samonios” — atteste d’une fête de trois jours, marquant la fin de l’été et le début de l’hiver, tout comme en Irlande. Cette découverte montre que la célébration du passage saisonnier était partagée dans tout le monde celtique, bien avant l’apparition du christianisme. Ainsi, Samhain n’était pas seulement irlandaise : elle appartenait à l’ensemble de la civilisation celte européenne.

Les sites sacrés irlandais : Navan, Rathcroghan et la grotte d’Oweynagat. En Irlande, plusieurs lieux archéologiques témoignent de rituels liés à Samhain. Le fort de Navan, en Ulster, révèle des structures circulaires complexes, probablement conçues pour des cérémonies spirituelles. Les fouilles ont montré que ces espaces servaient moins à la défense qu’à la médiation avec l’autre monde. Plus au sud, la colline de Ward et la grotte d’Oweynagat à Rathcroghan sont directement associées à la fête. Selon la mythologie, c’est par cette grotte que la déesse Morrigan — symbole de mort et de renaissance — surgissait à Samhain. Les traces de feux rituels, d’offrandes animales et d’idoles en bois suggèrent une continuité entre célébration agricole, culte des ancêtres et croyance dans le surnaturel.

Des rituels communs à toute l’Europe ancienne : Des vestiges similaires ont été identifiés à travers l’Europe : chemins de tourbières en Irlande et en Allemagne, statues en bois dans les zones humides scandinaves, cercles de pierre en France et en Galice. Partout, ces lieux marquent la frontière entre la vie et la mort, entre le monde matériel et spirituel.
Cette unité symbolique montre que Samhain faisait partie d’un vaste système de pensée : celui d’une Europe préchrétienne consciente des cycles de la nature, où le feu, l’eau et la pierre servaient de médiateurs entre les plans du réel. Ces découvertes confirment qu’Halloween n’est pas une invention moderne, mais la survivance millénaire d’une spiritualité ancrée dans le territoire.

Le sens spirituel d’Halloween aujourd’hui

Une fête du passage et du souvenir : Au-delà des déguisements et des citrouilles, Halloween reste une célébration du passage. Elle nous relie à une intuition ancienne : celle que la vie et la mort ne sont pas séparées, mais reliées par un cycle continu. Dans les sociétés modernes, cette fête offre un rare moment collectif pour honorer les disparus tout en apprivoisant la peur de l’invisible. Sous ses apparences festives, Halloween prolonge le rôle originel de Samhain : reconnaître la fin d’un cycle pour en accueillir un nouveau.

Entre peur et fascination : pourquoi elle perdure ? Halloween séduit parce qu’elle parle à nos instincts les plus profonds. La peur y devient jeu, le macabre se transforme en rire, et le déguisement permet de désamorcer l’angoisse du mystère. Dans un monde rationnel, cette fête rappelle l’importance du symbole, du mythe et de l’imaginaire collectif. C’est aussi un miroir social : derrière les monstres et les masques, chacun explore sa propre relation à la transformation, à la mort et à la mémoire.

Héritage celtique et résilience culturelle : Malgré sa récupération commerciale, Halloween conserve une âme païenne. Ses feux, ses lanternes et ses rites domestiques sont les échos d’une sagesse ancienne, où l’homme se savait partie d’un tout — nature, saisons, et forces invisibles. En renouant avec ces origines, nous redonnons sens à cette nuit particulière : non comme une farce américaine, mais comme une fête universelle de l’équilibre entre ombre et lumière. Célébrer Halloween, c’est finalement rallumer le feu de Samhain — un feu de mémoire, de transmission et de vie.