La promesse est simple : à chaque clic, une livraison gratuite en un temps record. Depuis la pandémie, les achats en ligne se sont ancrés dans notre quotidien. Portés par des plateformes comme Amazon, vantant des expéditions express sans frais. Pourtant, cette gratuité apparente cache un modèle économique où le maillon le plus vulnérable, le livreur, paie le prix fort.

Sous la pression d’un marché ultra-compétitif, entre rationalisation logistique et sous-traitance abusive, le secteur de la livraison est devenu un monde où le stress, l’épuisement et la précarité sont monnaie courante. Cette vidéo lève le voile sur l’envers de la livraison gratuite. Elle présente ainsi les témoignages poignants de facteurs, de livreurs et d’anciens sous-traitants suisses.

L’essor de la livraison gratuite : un mirage marketing

Une promesse irrésistible pour les consommateurs. Depuis la crise du Covid-19, les commandes en ligne ont ainsi explosé. La Suisse est devenue championne d’Europe du e-commerce. Les enseignes rivalisent de promesses alléchantes : livraison en 24 heures, sans frais, sept jours sur sept.

Cette gratuité, bien qu’affichée, est illusoire. Comme le reconnaît Martin Walter, dirigeant de Digitec Galaxus, le coût de la livraison est simplement intégré ailleurs. Ou dans le prix du produit ou pris en charge par le revendeur. L’objectif ? Ne pas freiner l’achat impulsif.

Une logistique industrialisée. Pour répondre à la demande, les centres logistiques fonctionnent en flux tendu et misent donc sur l’automatisation extrême. Moins de personnel, plus de rendement : la chaîne de livraison devient une usine où chaque détail est optimisé. Les livreurs deviennent les bras d’une mécanique déshumanisée.

Des conditions de travail dégradées pour les facteurs

L’explosion de la charge : Chez La Poste suisse, la fusion des services de courrier et de colis a bouleversé le quotidien des facteurs. Témoignage après témoignage, les livreurs racontent une même réalité. Des tournées de plus en plus lourdes, des colis toujours plus encombrants, et une cadence qui ne faiblit pas.

Certaines factrices doivent charger plusieurs fois leur véhicule dans la journée, monter sans relâche des escaliers sans ascenseur, tout en supportant les aléas météorologiques. Douleurs dorsales, tendinites, fatigue chronique : les impacts physiques sont tangibles.

Un travail invisible et sous-estimé : Malgré l’effort constant, les salariés se sentent méprisés. Les réorganisations internes visent l’efficacité, pas le bien-être. Les témoignages font état de burnout, d’insomnies et de pressions managériales croissantes. Certains se voient rappeler qu’ils sont remplaçables, qu’il y a « dix personnes derrière prêtes à prendre leur place ».

Des salaires peu évolutifs : Malgré une carrière de 47 ans, Paul, facteur à Renens, déclare toucher près de 5000 francs, un revenu qui a peu évolué depuis les années 1990. Avec le coût de la vie en Suisse, ce niveau de rémunération est éloigné du confort.

Les chauffeurs-livreurs de DPD : entre stress et sous-traitance

La stratégie du recours massif aux sous-traitants. DPD, numéro 2 de la livraison de colis en Suisse, ne recrute pas directement ses chauffeurs : elle passe par 80 sous-traitants, qui emploient quelque 800 livreurs. Ce modèle lui permet de se décharger légalement de toute responsabilité directe en cas d’abus.

Les chauffeurs, souvent immigrés, doivent travailler jusqu’à 14 heures par jour, sans pause, pour moins de 4000 francs mensuels. Certains déclarent devoir calculer quand boire ou uriner pour ne pas perturber leur tournée. Les arrêts sont chronométrés : deux minutes pour livrer un colis, pas une de plus.

Des amendes internes et des fraudes systémiques : la pression ne vient pas que du rythme. Les livreurs sont parfois sanctionnés par leur sous-traitant, qui leur retire des sommes de leur salaire pour chaque « infraction » : colis laissé sans signature, uniforme sale, fenêtre de livraison non respectée.

Pire : certains témoignent devoir signer des feuilles de temps falsifiées indiquant des pauses inexistantes. Une pratique illégale, mais difficile à contester pour des travailleurs précaires qui craignent de perdre leur emploi.

Les sous-traitants : exploiteurs malgré eux ?

Des chefs d’entreprise sous pression : derrière chaque sous-traitant se cache ainsi souvent un ancien livreur qui a voulu « monter en grade ». Mais très vite, ils se retrouvent à la tête d’une microstructure asphyxiée par les exigences de DPD : véhicules achetés à crédit, frais de location de scanneurs, bonus illusoires grignotés par les amendes.

Médis, ex-sous-traitant, raconte avoir perdu toutes ses économies : plus de 8000 francs envolés, une famille brisée, et un retour forcé au statut de simple chauffeur. « J’étais piégé », confie-t-il, « on me promettait de gagner plus, mais j’ai tout perdu ».

Une double exploitation : ce système de sous-traitance engendre une double exploitation : les sous-traitants sont pressurés par DPD, et pressurisent à leur tour leurs propres employés. Chacun tente de survivre, au prix d’un cercle vicieux de stress, de dettes et d’abus.

Les limites du contrôle et les pistes de réforme

Des institutions impuissantes : La Commission fédérale de la poste (PostCom) contrôle théoriquement le secteur. En pratique, elle se limite à vérifier les contrats entre les prestataires et les sous-traitants. Sans pouvoir d’enquête sur le terrain, elle reste aveugle aux pratiques réelles.

Le Conseil fédéral reconnaît la problématique mais tarde à agir. Seules trois sanctions ont été prononcées pour violations des conditions de travail.

La solution : une convention collective nationale : des syndicats comme Unia appellent à l’établissement d’une convention collective de travail obligatoire pour tous les acteurs de la logistique, y compris les sous-traitants. Objectif : imposer des normes minimales, contrôlables et sanctionnables.

Cela permettrait d’éviter que la compétition se fasse sur le dos des travailleurs, et recentrer l’innovation sur la qualité de service et l’efficience logistique, plutôt que sur la casse humaine.